Ecarté sans ménagement du gouvernement, l’ancien secrétaire d’Etat à l’Outre-mer annonce qu’il rejoint les radicaux de Borloo… et règle ses comptes avec Fillon.
Etre
débarqué du gouvernement, c'est violent?
Yves
Jégo. C’est notre société qui est violente. Même débarqué un peu brutalement, un
ministre n'a pas à se plaindre, quand on sait qu'il y a chaque jour 2000
chômeurs de plus débarqués de leur entreprise dans notre pays. Il faut rester
décent même s’il est vrai qu’apprendre cela dix minutes avant que ce soit
annoncé à la télévision, ce n'est pas très agréable...
Vous
n'avez rien vu venir?
Non.
Je n'ai eu aucun signe.
Vous
avez rencontré Nicolas Sarkozy mercredi à l'Elysée. Vous a-t-il expliqué votre
éviction?
On
a parlé. Il m'a exposé son souhait de passer à une autre étape en nommant un
ministre ultra-marin, et ça c'est plutôt une révolution. C'est sa responsabilité,
et je respecte sa décision.
Vous
a-t-il reproché la gestion du conflit aux Antilles?
Non.
Au contraire, il m'a dit qu'il m'avait soutenu pendant tout ce conflit. De
toute façon, il y avait deux solutions: soit je ne m'en mêlais pas, et il y avait
peu de chance que ça se règle, soit je m'en mêlais. J'y suis allé avec ma
sincérité, et j'assume tout. Le président a pu le constater lui-même la semaine
dernière lors de son voyage: la situation aux Antilles est redevenue normale.
J’ai évité, dans un affrontement extraordinairement compliqué, une dérive
insurrectionnelle qui aurait pu voir le sang versé. C'est mon bilan et je
constate qu’il est salué par l’opinion publique, qui, dans un récent sondage
aux Antilles, trouvait à près de 55% que j’avais fait du bon travail.
Quel
était le ton entre Sarkozy et vous ?
C'était
une explication entre amis, très franche et très sereine. Je n'ai aucun
reproche à faire à Nicolas Sarkozy. Il a pris des décisions. Quand j'entends
certains de mes collègues sortis du gouvernement pousser des cris et faire des
reproches à tel ou tel, je le déplore. A ce niveau de responsabilité, on n'a
pas le droit de se plaindre ni de faire des reproches à qui ce soit.
Avez-vous
demandé un poste ou une mission ?
Non.
Je ne lui ai rien demandé et il m'a fait l'honneur de ne pas me proposer de
hochet.
Allez-vous
rejoindre Jean-François Copé et son club Génération France?
J'ai
déjà participé à plusieurs réunions de Génération France. Mon amitié avec
Jean-François Copé n'est un secret pour personne. Mon parcours politique
aujourd'hui, c'est évidemment de rester pleinement dans la majorité
présidentielle et l'UMP. Je ne change pas de convictions. Mais j’ai rejoint le
Parti Radical de Jean-Louis Borloo. Cela fait longtemps que j’étais un compagnon
de route de cette famille. Dans ma jeunesse politique, j'ai travaillé à
proximité d'Edgar Faure. Le Parti radical est membre fondateur de l'UMP. Mais
j'estime que l'UMP, qui est une très grande maison, s'enrichit avec des marques
fortes. Le Parti radical est le plus vieux parti de France, héritier de
Clémenceau et de Mendès France, il porte les valeurs du 21ème
siècle.
Quelles
valeurs faut-il renforcer ?
L'idée
d'un libéralisme échevelé qui serait la marque de fabrique de la droite ne me
convient pas. Il y a aussi une droite sociale. L'ouverture, c'est très bien,
mais ça ne doit pas être pour l'UMP le prétexte pour ne pas développer des
valeurs humanistes. Par exemple, la valeur travail, à laquelle je suis attaché,
ne peut se concevoir sans la valeur partage.
Comme
Roger Karoutchi, limogé lui aussi, vous êtes un sarkozyste de longue date.
Nicolas Sarkozy récompense mal ses amis?
Sans
Nicolas Sarkozy, je n'aurais jamais eu la chance de rentrer au gouvernement. Je
lui en suis infiniment reconnaissant. Et s'il veut faire bouger le
gouvernement, faire rentrer des gens nouveaux, il faut bien que des gens
sortent. C'est sans doute plus facile de demander cet effort à ses amis.
Les
békés (descendants des colons blancs aux Antilles) et le Medef sont-ils
responsables de votre éviction?
Je
ne cherche pas de bouc-émissaire. J'ai dénoncé la violence des rapports sociaux
aux Antilles, j'ai dit un certain nombre de vérités, pointé des dérives. Par
exemple, j'ai demandé à l'autorité de la concurrence de rendre un avis sur la
formation du prix de l'essence. Sa conclusion qui vient d’être rendue me donne
raison en dénonçant de nombreux excès. Mais j'ai d'excellents rapports avec
certains patrons békés, je ne désigne pas une catégorie. J'ai voulu me faire le
porte-parole d'un Etat neutre, qui n'ait pas de connivence et qui dise les
choses. Je pense qu'outre-mer, il y aura un avant et un après-Jégo. Au-delà de
ma personne, je souhaite que ce que j’ai dit permette de déclencher une prise
de conscience et de changer les choses en profondeur.
François
Fillon est-il soumis à la pression des patrons békés, comme vous l'aviez laissé
entendre pendant la crise?
Je
n'ai pas de preuve ni d'élément précis pour répondre. D'autant moins que depuis
que je suis rentré des Antilles en février, je n'ai eu aucun contact avec le
Premier ministre.
Est-ce
normal, sur un dossier aussi chaud que celui qui était le vôtre?
Vous
me permettrez de ne pas faire de commentaire. Même si mon retour précipité, à la demande du Premier
Ministre, n’a pas été sans conséquence. Il est vrai qu’à l’époque, beaucoup ont
eu le sentiment qu’à Matignon, la vision de la réalité du terrain était
peut-être partielle. Ce n’est toutefois qu’un sentiment. Je n’ai plus cette
responsabilité et je souhaite très sincèrement que celle qui m’a succédé puisse
réussir.
Fillon
a-t-il pesé dans la décision du président de se séparer de vous?
J'imagine que si le Premier ministre avait souhaité que je reste, je serais encore au gouvernement. François Fillon a été lui-même un ministre viré (NDLR, losque Villepin a succédé à Raffarin en 2005 il n'a pas gardé Fillon au gouvernement) et ça ne lui a pas si mal réussi!